Noël tropical

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Pour ces vacances de Noël, j’ai décidé de parasiter une expédition à laquelle je n’étais pas franchement convié à la base. Et en fin de compte, je pense avoir contribué à inverser la spirale de malchance dans laquelle mes deux compères se morfondaient avant que je les rejoigne.

 

Les deux compères en question, c’est Gutrie le Rama de Bankukuk, et Casey le Texan… drôle d’attelage auquel je me suis dit qu’il manquait un gaulois pour être complet. Ce voyage, Casey en rêvait depuis un bout de temps ; et moi aussi, depuis qu’il m’en avait fait part. L’idée : descendre de Bluefields à Monkey Point en panga puis marcher le long de la côte jusqu’à San Juan de Nicaragua, à la frontière avec le Costa Rica. De là, s’aventurer dans une des portions de jungle les mieux préservées de Mésoamérique, à la recherche de mystérieux sites archéologiques connus des seuls indiens Ramas et de rares privilégiés.

 

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Gutrie devant la maison de son oncle à San Juan de Nicaragua

 

Au départ, je n’étais pas sûr d’être de l’aventure car les deux zouaves avaient décidé de partir une semaine avant la date officielle des vacances, chose impossible pour moi en raison de la charge de travail élevée sur les projets d’eau, j’y reviendrai dans un prochain article. Mais comme je vous l’ai dit, la chance était avec moi et pas avec les deux autres. Tout d’abord, ils attendent 3 jours à Bluefields dans l’espoir qu’une panga parte pour Monkey Point. En désespoir de cause, ils se résolvent à effectuer la marche du sud vers le nord, et se rendent directement à San Juan (deux jours de trajet, et dépenses en conséquence). Arrivés à San Juan, ils ne sont pas plus heureux dans leurs tentatives de se rendre sur les sites archéologiques : la ville est privée de combustible ! Durant trois jours, ils traineront leur peine dans les ruelles inondées de ce bled sans grand intérêt et où les prix sont multipliés par deux par rapport au reste du Nicaragua. De mon côté, la chance était bien au rendez-vous de ce début de vacances. Le dernier jour de travail vers midi j’appelle le numéro que m’avait donné un chauffeur de taxi : « Il fut un temps, ce gars faisait le trajet Bluefields – San Juan en panga une fois par semaine. Appelle le au cas où. » Le gars en question partait le soir même, pour arriver le lendemain au lever du jour ! Je fais mon sac en vitesse, je saute dans la dernière panga pour el Bluff, le port de Bluefields, et c’est parti. Le bateau en question n’est pas une panga mais une plana  (c’est plat et ça peut transporter un chargement de quelques tonnes). Et devinez ce qu’il transportait ? Des dizaines de barils d’essence pour ravitailler San Juan ! La chance ayant ses limites, j’ai passé une nuit pitoyable dans un hamac humide balloté dans tous les sens avec l’odeur écœurante de l’essence qui donne la migraine … mon estomac n’a pas supporté.

 

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Maison traditionnelle rama de San Juan de Nicaragua

 

Le lendemain, j’arrive donc dans un état misérable à San Juan et vais directement étendre mon hamac chez les cousins de Gutrie qui habitent dans le quartier rama de San Juan : maisons de bois aux toits de palme juchées sur pilotis. Un très chouette quartier perdu au milieu de quartiers classiques de maisons de béton aux toits de zinc rouillé. A peine ai-je sombré dans un sommeil profond et mérité que Casey me réveille : “let’s go dude!”. L’enfoiré, il ne m’a même pas laissé une demi-journée pour me reposer. On fait quelques provisions, on loue un cayuco et Fish, le cousin de Gutrie, nous guide vers la communauté de Makengue. Le fait qu’il soit légèrement imbibé de guaro en cette heure matinale ne l’empêche pas de manœuvrer le cayuco avec dextérité. La remontée du rio Indio est magnifique ; les pluies abondantes sur la région confèrent à la dense végétation un caractère luxuriant, à moins que ce ne soit l’inverse. A Makengue, nous faisons connaissance avec l’oncle de Gutrie, Coyote, et sa famille. Il y a là deux maisons particulièrement rustiques et une église (rustique, elle aussi), où nous installons nos hamacs. Cette église semble avoir été construite par une secte évangéliste américaine, dont un fanatique représentant se trouvait justement dans la communauté au moment de notre visite. Ce pasteur récemment débarqué de son Alabama natal n’arrivait absolument pas à se faire comprendre des locaux, qui parlent un anglais créole apparenté au patois jamaïcain, ni de moi. Tant mieux, Casey m’ayant expliqué par la suite que ses sujets de discussion favoris étant la justification de toutes les guerres menées par les Etats-Unis. De toute façon, qu’attendre d’un type qui se présente en vous disant qu’il est ici « envoyé en mission par Dieu » ? J’évite de communiquer avec ce genre d’énergumènes qui colonisent tous les continents. Ce pasteur développe des "projets" pour aider à convertir les Indiens : il a construit une latrine au sommet de la colline où se trouve le puits (qui sera donc pollué par celle-ci) et compte installer des robinets filtrants (sauf qu'il n'y a bien évidemment pas de robinets et que le jour où il y en aura, ces robinets devront être remplacés fréquemment, ce qui ne sera pas fait, c'est écrit d'avance). Bref, un exemple de développement non durable.

 

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Gutrie, Fish et Casey

 

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L'église de Makengue, où nous passons la nuit

 

Le lendemain, nous partons vers le site qui nous intéresse. On y arrive après une heure de cayuco puis quelques heures d’une agréable marche en forêt en compagnie de nombreux jeunes Ramas venus se joindre à notre petite troupe. Nos guides nous montrent de nombreuses plantes médicinales et surtout les lianes à eau, qui seront fort utiles pour remplir nos gourdes durant la deuxième partie du voyage. D’innombrables iguanes, plus ou moins grands et de toutes les couleurs, recherchent les rares rayons de soleil sur des branches surplombant le fleuve. Au retour, après s’être bien réchauffés, ils se jetteront à l’eau du haut de leurs branches : l’un d’eux fait un gros plat à moins de deux mètres du cayuco, nous éclaboussant comme il faut. En chemin nous voyons également des perroquets macaw, grands oiseau rouges que l’on voit hélas rarement en liberté. Quant aux singes hurleurs qui m’avaient foutu la trouille du côté de San Carlos l’an passé, ils sont partout. Une troupe campe notamment au-dessus de l’embarcadère près de là où nous logeons.

 

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En cayuco avec les habitants de Makengue


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Coyote se désaltère avec une bonne liane à eau


 

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La jungle aux alentours de Makengue

 

 

Le site de Canta Gallo est composé de nombreux blocs de pierre noire de type basaltique. En fait, je n’en sais rien mais la phrase précédente sonne bien comme ça. Certains de ces blocs sont vraiment immenses. Personne ne sait comment ils sont arrivés là : certains penchent pour une origine naturelle, d’autres préfèrent croire que l’Homme les a apportés là. Ce site était utilisé par les anciens Ramas comme lieu de rencontre et de discussion : le pendant précolombien de l’actuelle Casa Comunal des communautés ramas, en quelque sorte. Mais les Ramas leurs prêtent également des valeurs magiques : d’une part, les colons espagnols ne les trouvèrent jamais lorsqu’ils se réfugièrent sur ces sites ; d’autre part, de nombreuses légendes entourent le lieu : histoires de lutins, de gens qui deviennent fous et s’entretuent lorsqu’ils viennent avec de mauvais desseins en tête, ou d’arbres fruitiers alléchants mais qui disparaissent lorsqu’on s’en approche. Il y a, semble-t-il, d’autres sites d’intérêt plus profondément cachés dans la jungle, mais nos guides se montrent réticents à nous y conduire et nous respectons leur choix. Aucun non-Rama n’aurait visité ces sites à ce jour.

 

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Un des blocs de pierre


 

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Nos guides

 

 

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Retour à San Juan


 

Le lendemain, nous attaquons la seconde partie du voyage. Fish nous fait franchir le rio Indio à bord de son petit cayuco  et nous accompagne jusqu’à la plage ; nous voilà partis. L’année dernière, j’avais contracté une tendinite en marchant pieds nus sur le sol dur mais incliné de la plage près de Corn River. Cette fois-ci, on ne m’y reprendra pas : je marche en chaussures sur le sable mou mais plat de la dune. Ce n’est pas la bonne solution  non plus. Du sable entre à chaque pas dans mes chaussures par l’arrière et exerce un frottement sur mon tendon d’Achille. J’en serai quitte pour une bonne grosse ampoule qui ne me quittera pas jusqu’à la fin des vacances.

 

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Le décor de ce premier jour : peut mieux faire


 

La plage entre San Juan et Corn River est une longue étendue de sable bordée par une mer agitée et désordonnée rappelant vaguement nos plages du sud-ouest, végétation mise à part. La fin de l’après-midi nous surprend dans la petite communauté de pêcheurs de Haulover, où nous choisissons de rester pour la nuit. Sage décision : la famille de mestizos chez qui nous suspendons nos hamacs est sympathique, nous nourrit de poisson fraichement pêché et n’accepte aucun paiement pour le gite et le couvert. En 22 ans sur place, c’est la première fois que notre hôte rencontre des voyageurs, faisant cette randonnée pour le plaisir. D’ailleurs, semblait-il penser, ces gringos sont-ils locos au point de marcher juste pour le plaisir ? En général, quand un local marche sur la plage, c'est dans l'espoir de trouver un paquet de cocaïne échoué.

 

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Vue de Haulover


 

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La pêche a été bonne, tant mieux pour nous


 

Le lendemain nous reprenons la route, ou plutôt la plage, en direction de Corn River. En chemin nous rencontrons quelques familles vivant le long de la plage et que j’avais rencontrées lors de ma visite ici l’an dernier. A Corn River l’accueil est plus suspicieux que chaleureux : les Babylone (militaires) nous demandent nos papiers et un permis de voyager. Euh… c’est une blague ? En fait, le type voulait juste nous impressionner et ne savait pas de quoi il parlait. Nous achetons quelques provisions qu’une femme de la communauté prépare pour nous avec un peu de poisson. Nous mangeons généralement deux fois par jour : le matin au réveil et vers le milieu de l’après-midi. Les menus varient peu : poisson frit, riz blanc et manioc ou banane.

 

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Passage d'une petite rivière


 

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Le gars qui vit de l'autre côté de la rivière


 

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Pas grand chose d'autre à faire pour ces gamins de Corn River sachant que

l'école n'a pas de professeur en ce moment... comme l'an dernier d'ailleurs


 

Le troisième jour, je décide de marcher pieds nus sur la plage, pour soulager mon ampoule au tendon d’Achille : arrivé en milieu de matinée à Pointa Rock, après seulement trois heures de marche, j’ai une énorme ampoule sous le pied gauche. Demain, je mets les bottes. Pointa Rock est une petite communauté de 5 ou 6 familles située à l’embouchure d’une petite rivière qui se jette dans la mer des Caraïbes à la limite d’une pointe rocheuse. Le décor est plaisant au premier abord ; mais durant cette saison des pluies, la vie dans la communauté n’est pas très rigolote. La communauté est construite sur un sol gorgé d’eau, dans lequel les porcs se sentent comme des poissons dans l’eau. Impossible de quitter la maison sans s’enfoncer dans la fange jusqu’à la cheville (en étant adroit) ou jusqu’à mi-mollet (en étant comme moi). Et les maisons n’ayant ni sanitaire, ni eau courante, on est bien obligé de sortir de temps en temps.

 

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Franchissement de Corn River en cayuco


 

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Ici, la plage est un peu plus chouette


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Un gamin de Pointa Rock


 

Le quatrième jour, les choses sérieuses commencent : pour rejoindre Punta Gorda, nous devrons franchir plusieurs caps, certains en les contournant par l’eau, d’autres en coupant à travers le bush. Pas question de s’arrêter avant Punta Gorda : il n’y a rien. C’est donc 5 heures de marche (selon les locaux – nous savons déjà qu’il faut multiplier par deux) éprouvante qui nous attendent. De plus, la zone de Punta Gorda a mauvaise réputation, une bande de mestizos y ayant commis des agressions par le passé. Dès le deuxième cap coupé à travers le bush, nous perdons le chemin et nous nous fatiguons à ouvrir un chemin. Une demi-heure plus tard, nous retombons sur un chemin… où nous sommes déjà passés. Peu après, une de mes bottes se troue et se remplit de boue ; je ferai une entorse à mon caractère écolo en les abandonnant sur un cap rocheux. J’en serai bien puni, d’ailleurs : la marche dans la jungle avec des tennis n’est pas l’activité la plus agréable qui soit, je l’apprendrai à mes dépends. Je passe ma journée à me vautrer dans la boue en essayant de me rattraper à des branches ou des lianes qui tantôt sont couvertes d’épines, tantôt de fourmis ou de guêpes. Le dernier passage de bush est le plus dur : perdus, mais proches de la plage, nous n’avons de choix que de traverser un marécage à l’odeur fétide, enfoncés jusqu’à la taille. Le contournement d’un petit cap nous permet de nous laver à grande eau. Enfin, c’est la dernière ligne droite : l’eau et la chair de quelques noix de coco, ainsi que la vue de l’embouchure du rio Punta Gorda nous donnent un regain d’énergie. A Punta Gorda, il n’y a pas vraiment de communauté : seules quelques fincas (fermes) éparses et un poste de Babylone, qui nous accueillent courtoisement, nous offrent du riz et des frijoles (haricots rouges) et nous permettent d’attacher nos hamacs sous leur porche.

 

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Au début de la journée, tout va bien


 

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Là, je commence à fatiguer


 

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Une petite halte appréciable car je commence à en avoir un peu marre...


 

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Quelques secondes plus tard, je m'enfonçais jusqu'à la taille dans ce marécage nauséabond, avec des fourmis qui me piquaient de partout en prime : vivement la fin de cette étape...


 

Le lendemain, la marée haute rend difficile cette avant-dernière étape : la plage sur laquelle nous devons marcher est inexistante. A l’intérieur, des mangroves inextricables empêchent le passage. Nous devons donc marcher dans l’eau jusqu’à la taille entre les troncs d’arbres ballotés par les vagues. A la moitié de notre étape du jour et après 4 jours passés à marcher sur la plage sans croiser âme qui vive, nous tombons sur Daniel, un panguero rama, et ses deux frangins, à la recherche de filets de pêche égarés. Sympathique rencontre, nous rentrons tous ensemble à Bankukuk, qui est aussi la communauté de Gutrie.

 

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A marée basse ça doit être plus sympa


 

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Encore une rivière à passer....


 

Bien accueillis chez la famille de Daniel, nous resterons quelques jours à Bankukuk dans l’attente qu’un bateau parte vers Bluefields. Les conditions météo ne permettant pas le voyage en cayuco, nous restons bloqués et passons Noël dans la communauté. Le 24 au soir, je dors comme tous les soirs vers 8 heures. Le 25, nous surfons les vagues de Bankukuk en cayuco… des émotions fortes pour un Noël à part.

 

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... et une autre rivière


 

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Cayuco a Bankukuk

 

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Vue de Bankukuk


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Repas de Noël : nacatamal

 

Le 26, nous partons vers Monkey point pour une dernière étape boueuse. Je me maudis d’avoir abandonné mes bottes mais je ne me plains pas, pensant à Gutrie qui marche pieds nus (malgré les épines, les serpents, les fourmis, etc.) depuis San Juan et qui doit souffrir en silence. Il transporte ses belles chaussures blanches depuis Bluefields, mais ne veut pas les salir. Il ne les a pas mises une seule fois, même en ville ! A Monkey Point, la marche dans la communauté ressemble plus à du patinage artistique qu’autre chose ; il faut bien s’y résoudre, car l’endroit où nous mangeons est à 20 minutes à pied du « lodge » où nous logeons.

 

Le lendemain, la panga ne peut pas partir : le moteur ne démarre pas à cause d’un fusible grillé. Malin comme un renard, Casey court-circuite le fusible en question est permet à 15 personnes de Monkey Point de monter à Bluefields, et à nous de retrouver nos chères maisons et leur confort : l’eau courante, l’électricité et des toilettes (relativement) propres. Tout ce que blueEnergy essaye d’apporter aux communautés en somme.

 

P.S.: pour avoir une autre version de ce voyage, allez voir sur le blog de Casey.

Casey est certainement le volontaire le plus passionné par Bluefields et la région et son site regorge de conseils et d'anecdotes intéressants : certainement de quoi vous donner envie de venir voir ça par vous même !

 

 

Très bonne année 2012 !


Publié dans Nicaragua

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C
<br /> Veni, vidi, vici.<br />
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F
<br /> Salut Thib,<br /> <br /> <br /> Passionant cette aventure. Moi aussi je te souhaite un etrès bonne année 2012.<br /> <br /> <br /> A Bientôt<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> Fred<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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T
<br /> <br /> Salut Fredo,<br /> <br /> <br /> merci pour le commentaire. Si ça t'a plu, tu peux aller voir en bas de l'article, j'ai mis un lien vers le blog de Casey, qui est très chouette (le blog) et qui raconte ce voyage sous un autre<br /> angle et avec moult détails.<br /> <br /> <br /> Bises à la famille<br /> <br /> <br /> <br />